Veuillez trouver ci-dessous la lettre ouverte de notre équipe au Président de la République, parue ce jour dans Marianne. Vous pouvez soutenir cet écrit ou réagir à son contenu en écrivant au Courrier des Lecteurs du journal à l'adresse suivante : lecteurs@journal-marianne.com
Nous vous rappelons que la pétition déposée par EGALE en mars dernier, pour que les crèches de statut privé subventionnées par l’État puissent respecter la neutralité politique et confessionnelle, peut toujours être signée à cette adresse. Elle a déjà accumulé plus de 20 000 soutiens !
Nous vous rappelons que la pétition déposée par EGALE en mars dernier, pour que les crèches de statut privé subventionnées par l’État puissent respecter la neutralité politique et confessionnelle, peut toujours être signée à cette adresse. Elle a déjà accumulé plus de 20 000 soutiens !
Appel de Baby-Loup à François Hollande
Monsieur
le Président de la République,
Le 28 mars dernier,
sur l’antenne de France 2, vous avez publiquement manifesté votre étonnement
suite au refus de la Cour de Cassation de valider le licenciement d’une
professionnelle de notre crèche de Chanteloup-les-Vignes qui entendait imposer
son voile islamique. « Dès lors qu’il y a contact avec les enfants,
dans une crèche associative ayant des financements publics, il doit y avoir une
certaine similitude par rapport à ce qui existe dans l’école, avez-vous précisé, ajoutant : Je
pense que la loi doit intervenir. Il faut que nous posions des règles et il
faut que ce soit un consensus. » Vos mots ont immédiatement
redonné du souffle à notre équipe après plusieurs années de procès (qui n’en finissent pas puisque nous sommes à nouveau convoqués le 17 octobre devant la Cour d’appel de Paris). Enfin entendait-on un responsable politique prêt à résoudre ce paradoxe
juridique inouï faisant qu’aujourd’hui en France, le droit protège mieux les
initiatives privées religieuses que celles qui, comme la nôtre, entendent seulement
ne pas l’être !
Pour mener à bien le
chantier législatif alors promis, vous constituiez le 5 avril l’Observatoire de
la Laïcité, avec pour feuille de route prioritaire le traitement de
l’insécurité juridique mise à nue par notre affaire. Or, celui-ci a publié un
rapport d’étape le 25 juin, sur la base duquel son Président, Jean-Louis Bianco,
a déclaré dans Le Monde : « La France n’a pas de problème
avec sa laïcité », affirmation étrange en ce qu’elle semblait mettre
en doute l’utilité même de son institution. Si nous savons que le discours de
M. Bianco était en vérité plus nuancé, sachez que cette phrase a fait beaucoup
de mal dans les rangs de nos amis ouvriers du vivre-ensemble qui, chaque jour,
nous appellent pour nous raconter les problèmes analogues de pressions religieuses
auxquels ils sont confrontés.
Heureusement, les
réflexions optimistes de l’Observatoire n’ont pas empêché le débat de se
poursuivre, et des réponses aux soucis bien réels mis en lumière par le cas Baby-Loup
d’émerger. Des parlementaires de droite ont ainsi conseillé d’élargir à
l’ensemble du secteur privé le principe de neutralité, sans se rendre compte
que c’était potentiellement légitimer l’exclusion ordinaire, et faire comme si
l’influence se jouait de manière identique entre majeurs et mineurs, personnes
autonomes et personnes vulnérables. Des parlementaires de gauche ont défendu
l’urgence de protéger les jeunes des revendications communautaires en rendant
public le secteur de la petite enfance, sans remarquer que la suggestion butait
sur l’existence d’établissements confessionnels prétendant justement user de
cette plasticité infantile pour y imprimer au plus tôt une marque identitaire.
Des techniciens du droit, enfin, ont imaginé considérer la laïcité comme une
« tendance » semblable aux religions, sans s’apercevoir qu’il y avait
là une absurdité philosophique, confondant la neutralité avec de l’athéisme
militant, et oubliant l’exigence républicaine de production d’espaces propices
au respect (et si possible à l’amitié), dans lesquels les identités ne soient pas
immédiatement visibles et les individus,
préjugés.
Les
limites de ces propositions, nous les avons senties grâce à notre expérience de
terrain. C’est cette expertise modeste mais concrète qui nous oblige
aujourd’hui à vous suggérer une autre voie, en parfaite cohérence avec notre
Constitution, dont le premier article accole l’adjectif « laïque » à la
République. Or, dire que la République est laïque, c’est pour nous affirmer
bien plus qu’un devoir de réserve de l’État. C’est dire que la res publica,
la chose publique, ce qui nous rassemble, est laïque ; que le fondement et
l’horizon du peuple souverain sont laïques ; que si l’intérêt particulier
peut être confessionnel ou partisan, et si l’État doit veiller à son respect,
l’intérêt général doit viser l’au-delà de ce qui divise, car il est le garant
du bien-être de chacun des citoyens, d’où qu’il vienne et quels que soient ses
choix.
Nous savons tous que cet intérêt commun ne peut se limiter à ce qui
est juridiquement de droit public, pour au moins deux raisons : d’abord,
dans notre société, théâtre de privatisations massives, les lieux officiels du
vivre-ensemble tendent à se réduire ; ensuite, l’État, lourd de ses
normes, n’a pas toujours la capacité d’invention nécessaire à la résolution des
problèmes nouveaux qui s’invitent quotidiennement dans la vie des Français. Répétons-le :
la crèche Baby-Loup, relais familial ouvert 24h/24, n’a pu être conçue qu'avec
la souplesse d’une association loi 1901. Doit-on nier pour autant l’utilité publique
de son modèle, en phase avec les diverses situations de parentalité et de
travail qui font les familles contemporaines ?
Or,
vous le savez, il existe déjà un statut juridique, pour le moment surtout
fiscal mais qu’on pourrait modifier, dont le but est d’identifier les entités
privées au service du public : c’est la notion d’« organisme
d’intérêt général », que même la Cour de Cassation nous a attribuée sans
détour. Pour y prétendre, il faut être une structure non lucrative à visée
sociale, dont les bénéfices sont réinvestis dans son champ d’action et dont la
gestion est démocratique. On pourrait utiliser ce statut pour préserver des excès
individuels une société civile au service direct des citoyens : il
suffirait d’autoriser les organismes reconnus par l’Etat comme étant d’intérêt
général à inclure dans leur règlement intérieur les dispositions de neutralité
qui s’appliquent aux agents des services publics.
Cette
solution simple résoudrait les problèmes soulevés par notre affaire, sans avoir
à entraver le précieux dynamisme des expériences-pilotes associatives, autoriser
la discrimination dans l’entreprise, remettre en cause les établissements
confessionnels ou abandonner les autres secteurs. En outre, elle réaffirmerait la
neutralité comme principe structurant essentiel du collectif citoyen sans
impliquer une refonte du corpus juridique en vigueur. En somme, le « consensus »
que vous appeliez de vos vœux.
Si
on ne peut pas en vouloir aux juges d’appliquer les lois, on peut blâmer le législateur
de ne pas modifier celles qu’il estime, de son propre aveu, lacunaires et
injustes. « Là où il y a mission d’intérêt général, il doit y avoir une
règle », déclariez-vous en mars dernier. Nous espérons que cette règle
soit décidée assez tôt pour pouvoir être encore respectée. Que notre structure soit
sacrifiée pour combler un vide juridique importe peu ; qu’elle le soit
pour rien serait inadmissible. Tous les acteurs sociaux comptent aujourd’hui sur
vous, Monsieur le Président, pour que soient enfin dissipées les ambiguïtés actuelles
concernant la laïcité et que les conditions d’une société commune soient de
nouveau réunies. Rappeler que cette notion est au principe d’une politique
faisant le choix d’être fraternelle plutôt que fratricide, voilà bien une
« mission d’intérêt général » qu’on est en droit de confier au
premier citoyen que vous êtes.
Natalia Baleato et son équipe