vendredi 12 avril 2013

Penser la crèche comme lieu d'éducation


En ces temps de réflexion sur le cadre qui devrait s'imposer aux structures prenant en charge la petite enfance, nous souhaitons partager avec vous quelques remarques qui nous ont été soumises en mai 2012 par la pédiatre Christine Attali-Marot et la psychologue Claude de Rouvray.



Ni parking, ni consigne : 
une crèche est un lieu d’éducation pour l’enfant dès son plus jeune âge !


1. Impact potentiel sur le très jeune enfant

Nul ne peut évaluer avec certitude les capacités de discrimination des apparences physiques que peut avoir un très jeune enfant. Cela dépend de son âge, de sa maturité psychique et du contexte dans lequel il grandit !

Il est tout aussi difficile d’évaluer ou de rendre compte du ressenti d’un très jeune enfant face à une femme (qui n’est pas sa mère ou un adulte familier), dont le visage est en partie caché par un voile qui en limite l’expressivité. Il est cependant démontré aujourd’hui que le visage de l’adulte qui s’occupe d’un tout petit enfant constitue à lui tout seul le reflet du monde extérieur et la source d’une relation intersubjective intense et structurante.
 
On peut affirmer également qu’un tout petit enfant, au moment d’être confié à des mains extérieures à sa famille, sera extrêmement sensible au ressenti de son parent. S’il perçoit que sa mère ou son père ne sont pas en confiance avec la personne qui va prendre soin de lui, il ne se sentira pas en sécurité : la « passation » ne se fera pas. L’enfant a en effet besoin de sentir une connivence bienveillante entre les adultes qui s’occupent de lui. Son inquiétude, qui pourra s’exprimer de diverses façons (pleurs, repli sur soi, insomnies, perte d’appétit, etc), l’empêchera de construire des repères dans ce nouveau lieu de vie pour lui.

2. Pour des enfants plus âgés

La crèche Baby-Loup accueille des enfants jusqu’à 9 ans le soir et le week-end (voire plus âgés en cas de fratrie). Pour certains d’entre eux, le port d’un voile intégral noir, par une adulte chargée de s’occuper d’eux, peut être traumatisant et susciter des questions sur l’intégrité physique de celle qui le porte. Le ressenti négatif de leurs parents, s'il existe, est aussi très perturbant pour eux.

Il est à remarquer que les personnes féminines qui s’occupent des enfants dans le milieu familial ne sont pas voilées puisque le port du voile n’est prescrit qu’à l’extérieur. Les enfants n’ont donc pas l’habitude de la proximité avec cette apparence qui peut être d’autant plus dérangeante pour eux qu’il s’agît souvent d’une présence qui intervient dans une grande proximité physique : soins du corps, repas, accompagnement du coucher…

3. Une crèche n’est pas uniquement une structure de garde

Si une crèche n’a pas pour mission de « forger le jugement de futurs citoyens », elle est un lieu d’éducation pour les enfants, même tout petits ! Cette mission lui est confiée - comme à tous les établissements d’accueil de jeunes enfants, quelque soit leur statut d’établissement public ou privé - par la loi (article 2 du décret N*0130 du 8 juin 2010 reprenant l’article R. 2324-17 du code de la santé publique). Les bienfaits de ce rôle, pour l’enfant, sont reconnus par de nombreuses études internationales (Unesco, Unicef, commission européenne…).

[voir à ce propos l'argumentaire sur la mission d’intérêt général de ces EAJE au moment de la transposition en France de la directive européenne sur les services, en janvier 2010, dans l'article de Carole Saleres et Karine Métayer paru dans la revue mensuelle Dalloz, Actualités juridiques des Collectivités Territoriales de septembre 2010]

4. Culture et religion

La question de l’appartenance culturelle et religieuse, et de sa libre expression, ou pas, par les professionnelles, renvoie à la définition des valeurs éducatives qui sous-tendent le projet social et éducatif que chaque lieu d’accueil doit élaborer (cf. décret de juin 2010). Ces projets, qui doivent être élaborés collectivement et validés par les tutelles, sont indispensables pour que l’équipe éducative soit soudée et que les messages adressés aux parents comme aux enfants soient cohérents. Les lieux d’accueil de la petite enfance étant des lieux d’éducation, ils doivent prendre en compte les valeurs qui, en France, font consensus en la matière et la laïcité en fait partie.

 
Christine Attali-Marot, 
Pédiatre.     

Claude de Rouvray, 
Psychologue-Psychanalyste,
Co-fondatrice de l’IRAEC (Institut de Recherche Appliquée pour L’Enfant & le Couple)