Veuillez trouver ci-dessous une tribune de notre directrice expliquant les raisons de la fermeture prochaine de la crèche Baby-Loup sur la ville de Chanteloup-les-Vignes, publiée ce jour par le journal Le Monde.
Baby-Loup, le départ
Depuis le début de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'affaire Baby-Loup », notre équipe était déjà régulièrement, sur son terrain historique ― Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines ― victime d'insultes, de menaces, de vandalisme ou de diffamation ; mais la force publique était de son côté. Avec l'arrêt de la Cour de cassation du 19 mars, qui a rendu pour la première fois illicite son ambition de laisser les effets religieux à la porte de sa crèche, la contestation a pris un nouveau visage, parée de l'assurance de la légitimité. Aux hostilités extérieures et anonymes qui s'exerçaient jusqu'alors se sont ajoutées des altercations dans l'enceinte même de l'établissement, prenant pour acteurs certains parents avec lesquels nous travaillions pourtant depuis des années dans la confiance et sans heurts, devenus soudain d’ardents défenseurs de revendications singulières que l'on serait aujourd'hui « obligés par la loi » de mettre en œuvre. Prises au sérieux, celles-ci impliqueraient pour nous de séparer les enfants en fonction des modes de vie décidés par leurs parents, d'en exclure certains des jeux ou fêtes jugés impropres à telle ou telle religion, d'en isoler d'autres au moment du repas pour les prémunir de goûter (et même de toucher) des aliments défendus, de réglementer les modalités du sommeil selon diverses habitudes arbitraires... au mépris des envies et des besoins que les pédiatres et pédopsychiatres éclairent de leurs préconisations.
Rappelons que l'affaire débute en 2008, lorsque notre crèche
associative signale à l'une de ses employées, revenant d'un congé parental avec
de nouvelles exigences religieuses, qu'elle ne peut pas exercer ses activités
auprès des enfants en portant un voile ample conjugué à une tunique. En effet, le
règlement intérieur du personnel prescrit depuis sa création, conformément à ce
que la Caisse d'Allocations Familiales demande à l'ensemble de ses partenaires,
la neutralité politique et confessionnelle. Après deux instances favorables à ce positionnement (les
prud'hommes de Mantes-la-Jolie et la cour d'appel de Versailles), Baby-Loup
voit cette année la justice sembler donner raison aux allégations qualifiant de
discriminatoire le licenciement qui a suivi le rejet et la non-observation de
cette règle. Puisque l'association relève juridiquement du droit privé (comme
les entreprises), elle ne peut pas interdire l'expression religieuse sur son
lieu de travail, y compris si celui-ci concerne une petite enfance en pleine
construction identitaire et si elle entre en contradiction manifeste avec les
règles d'hygiène draconiennes qui s'appliquent au secteur.
L'atmosphère locale délétère qui s'est depuis installée
constitue un fracassant retour en arrière par rapport aux origines du projet, qui
se proposait à la fin des années 1980, avec la pleine adhésion du quartier, de
créer un service inédit permettant à plus d'une cinquantaine de nationalités
différentes de vivre ensemble. À l'époque, c'était le désir de réussir
collectivement, et non la tentation communautaire, qui se promettait de tout
emporter. Nous voyions tous en la neutralité un concept de pacification, capable,
en créant un espace particulier, de ne pas fixer chacun dans une identité
préjugée dont la xénophobie définit le cadre et recueille toujours les fruits.